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Enseignement de l’arabe : chantier en cours au ministère de l’Éducation nationale

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Enseignement de l’arabe : chantier en cours au ministère de l’Éducation nationale

Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a préconisé l’enseignement de l’arabe pour ne pas laisser le “monopole” aux “structures communautaristes”. Comment est enseignée cette langue dite “rare” ? État des lieux.

C’est un “emballement médiatique” sur la question de l’apprentissage de l’arabe en classe, déplore le ministre français de l’Éducation Jean-Michel Blanquer, qui appelle à un peu de “subtilité”. Interrogé par la presse à l’occasion de la remise d’un rapport sur l’enseignement des langues étrangères, mercredi 12 septembre, le ministre veut faire taire la polémique : “Je n’ai évidemment pas dit que l’enseignement de l’arabe devait être obligatoire à l’école primaire, comme l’a affirmé tel ou tel responsable politique”, en l’occurrence le président de région  Xavier Bertrand sur France Inter le même jour. Jean-Michel Blanquer rappelle sa position : “Nous serons très attentifs à ce qu’il n’y ait pas un monopole de facto de l’enseignement de l’arabe par des structures communautaristes qui nous mènent tout droit au fondamentalisme.”

Le sujet a été mis sur la table, lundi 10 septembre, avec un rapport sur “la fabrique de l’islamisme” rédigé par Hakim El Karoui pour l’Institut Montaigne, un think tank proche du président Macron. Parmi les mesures préconisées pour lutter contre le fondamentalisme, outre la formation des imams et la création d’une organisation musulmane neutre et indépendante, figure l’enseignement de l’arabe. “Relancer l’apprentissage de la langue arabe est majeur tant les cours d’arabe sont devenus pour les islamistes le meilleur moyen d’attirer des jeunes dans leurs mosquées et écoles”, écrit-il. Sur la radio RTL, Hakim El Karoui précise : “En 20 ans, le nombre d’élèves qui apprennent l’arabe au collège et au lycée a été divisé par deux”, tandis qu'”il a été multiplié par dix dans les mosquées”. Puis l’auteur ironise : “Si l’on veut envoyer les petits Français dans les mosquées, on ne met pas de cours d’arabe à l’école”.

L’insuffisance de l’offre de cours en arabe, regrettée par Jean-Michel Blanquer et Hakim El Karoui, est confirmée sur le terrain par des parents d’élèves. “Je tiens à ce que mes deux garçons apprennent l’arabe, ils pourraient s’ouvrir des perspectives professionnelles, par exemple aller travailler dans les pays du Golfe”, témoigne ainsi Fatima, jointe au téléphone par France 24. “À Montfermeil, une mosquée dispensait autrefois des cours d’arabe, j’y ai inscrit mes deux garçons, ils ont appris à lire et à écrire”, poursuit cette femme qui a émigré du Maroc à l’âge de 8 ans. “L’arabe y était très bien enseigné, mes enfants y allaient avec plaisir, mais la mosquée a fermé depuis plusieurs années, et aujourd’hui, je ne sais pas vers quelle structure me tourner. Les associations ? C’est payant et il faut être véhiculé. Avec d’autres parents, nous avons du mal à confier nos enfants à n’importe quelle mosquée, on se méfie, on craint qu’ils soient embrigadés dans le jihad, explique-t-elle. Ce serait beaucoup plus simple dans le cadre de l’école”.

L’ELCO, lègue des années 70

C’est en primaire, principalement, que les modalités actuelles de l’enseignement de l’arabe posent problème. L’apprentissage de cette langue dans le cadre de l’Éducation nationale concerne un demi-millier d’élèves (chiffres de 2017-2018), quand la langue anglaise, elle, est rendue obligatoire et concerne la totalité des jeunes scolarisés. “L’enseignement de l’arabe, du chinois et du russe, en tant que langues vivantes étrangères, est peu développé dans l’enseignement primaire”, affirme le ministère, “mais progresse néanmoins : 567 élèves pour l’arabe, 1 483 élèves pour le chinois et 295 élèves pour le russe en 2017-2018.”

Le chantier principal du ministère est de ramener dans son champ de compétence un enseignement parallèle, dispensé jusqu’ici par le biais du programme “ELCO” (enseignement de langues et cultures d’origine). L’appellation ELCO regroupe divers partenariats noués dans les années 70 avec les ambassades de différents pays tels que l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Croatie, la Turquie, la Serbie, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Des cours de langues sont proposés au sein de l’école mais en-dehors des heures scolaires, et sont dispensés par des personnes recrutées, formées et rémunérées par leurs gouvernements respectifs. Selon le ministère, “plus de 58 000” élèves de primaire suivent des cours hebdomadaires d’arabe dans ce cadre.

Le manque de suivi de ces enseignants recrutés hors de l’Éducation nationale, l’absence d’outils pédagogiques et de supervision par des inspecteurs, pose problème. “J’ai été recruté il y a 15 ans par l’ambassade d’Algérie pour enseigner l’arabe à Gagny, dans le 93”, se souvient un ancien journaliste algérien, contacté par France 24. “À l’époque, j’ai dû inventer mon matériel pédagogique, rien n’était organisé. Aucun suivi de l’ambassade n’était prévu. Et je devais régulièrement expliquer aux familles que je n’étais pas là pour dispenser une éducation religieuse, que je n’étais pas cheikh, mais que j’enseignais l’arabe littéraire.”

Un rapport du Haut Conseil à l’intégration avait déjà alerté en 2013 sur les risques de dérives et dénonçait des cas de “catéchisme islamique” dans les manuels de l’enseignement du turc. Deux ans plus tard, après la tuerie de Charlie Hebdo, un rapport sénatorial s’inquiétait également des défauts d’encadrement du programme ELCO, pointait son caractère “communautaire” et prônait sa suppression au profit de cours intégrés à l’enseignement ordinaire des langues vivantes étrangères.

Ce cadre des ELCO, souvent décrié, était appelé à évoluer, avait déjà annoncé l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, en 2016. Elle les avait d’ailleurs rebaptisés les enseignements internationaux de langues étrangères (EILE). L’actuel ministre promet de prendre la question à bras le corps. “On fait un travail en finesse pour faire évoluer les ELCO : il n’y aura pas d’intervenant qui ne soit pas agréé par l’Éducation nationale. Aucun intervenant ne doit être porteur de radicalisation. Les choses ont commencé à bouger depuis 2017. Nous avons avancé”, a affirmé Jean-Michel Blanquer à France 24, mercredi 12 septembre. “C’est un travail à effectuer pays par pays, langue par langue”, a-t-il précisé, “et ce travail sera fait, le système évoluera dans un sens républicain, pour éviter les malentendus.”

“Schizophrénie française”

Quant à l’enseignement au collège et au lycée de l’arabe littéral – par opposition à l’arabe dialectal –, il réunissait en 2017 quelque 11 174 élèves, soit deux élèves sur 1 000, selon les statistiques du ministère de l’Éducation nationale. Les cours sont dispensés par des professeurs détenteurs du Capes d’arabe – le concours a été créé en 1975 – ou de l’agrégation d’arabe – le concours existe depuis 1905, dans une garantie de qualité et de laïcité.

Rime Abdel Nabi, professeure agrégée d’arabe, fait un état des lieux de son expérience d’enseignement dans des lycées à Saint-Denis et à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, ainsi que dans plusieurs établissements supérieurs (Université Sorbonne-Nouvelle et Sciences Po Paris). “Avec cette double casquette, je constate une schizophrénie très française : au collège et au lycée, nous devons lutter pour ouvrir des classes, persuader le rectorat de trouver de l’argent pour une langue dite ‘rare’, et surtout faire face aux craintes des directeurs d’établissement, qui ne souhaitent pas attirer une population maghrébine en ouvrant une option de langue arabe”, témoigne Rime Abdel-Nabi, contactée par France 24. “Au contraire, dans l’enseignement supérieur, l’arabe est très prisé – nous devons parfois même établir des listes d’attente – par un public très varié, avec des motivations diverses. Dans mon cours pour douze étudiants à Sciences Po, une seule personne porte un patronyme arabe.”

C’est cette tension entre deux visions – l’arabe porté par une histoire de l’immigration maghrébine en France, ou l’arabe comme vecteur culturel, économique et d’opportunité professionnelle – qui sous-tend la polémique que Jean-Michel Blanquer s’est empressé d’éteindre. Dans le feu du débat, il a omis de préciser s’il allait ouvrir ou non de nouvelles classes d’arabe dans le secondaire. C’était pourtant le cœur de la question.

Première publication : 12/09/2018

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