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Député en Afghanistan: de l’idéal, un salaire et la peur

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Député en Afghanistan: de l’idéal, un salaire et la peur

Des docteurs, des mollahs, des descendants de seigneurs de guerre, des féministes et même un détenu font partie de la longue et hétéroclite liste de candidats aux législatives de samedi en Afghanistan, prêts à affronter menaces et craintes d’attentats.

Dix candidats ont été tués alors qu’ils menaient campagne, la plupart dans des attaques ciblées.

Le dernier en date, un ancien général, est mort mercredi dans l’explosion d’une bombe cachée sous un canapé dans son local de campagne, dans le sud du pays. Les talibans ont immédiatement revendiqué l’attentat.

Les talibans avaient intimé aux candidats de se retirer de la course et juré d’attaquer les bureaux de vote et ceux qui s’y rendent. Le groupe Etat islamique (EI) a également mené de nombreux attentats meurtriers lors de rassemblements électoraux, tuant des dizaines de personnes.

Malgré cela, Wida Saghary assure qu’elle n’a pas peur et ne renoncera pas à faire campagne.

“J’ai toujours risqué ma vie pour défendre les droits des personnes, en particulier les droits des femmes. Je ne ressens pas plus de peur aujourd’hui”, assure la militante de 34 ans qui se présente pour la première fois.

“Nous sommes beaucoup à avoir reçu des menaces, qu’elles viennent des talibans ou de groupes mafieux qui nous voient comme un danger”, dit Ahmad Tamim Rahman, candidat à Kaboul. Il assure ne pas être “motivé par le pouvoir” mais être “indigné par la guerre et la misère qui ne cessent de s’aggraver”.

Malgré le péril, être député garantit un emploi garanti pendant cinq ans avec un salaire mensuel de 200.000 afghanis (plus de 2.300 euros), environ 15 fois le salaire moyen dans le pays, comprenant leurs dépenses pour des véhicules blindés et des gardes du corps.

Plusieurs néo-politiciens préfèrent avancer des motifs altruistes, souhaitant pêle-mêle apporter le changement dans un pays appauvri, corrompu, et faire respecter les droits des opprimés, au risque de leur propre vie.

“Il faut aider la jeunesse et défendre les droits des femmes, les composantes les plus négligées de la société”, abonde Sangar Amirzada, 33 ans, membre de la société civile et lui aussi candidat.

Mais il reconnaît volontiers que “les parlementaires ne sont plus respectés” et que “les privilèges accordés aux politiciens sont une malédiction pour le pays”.

Avec plus de 2.500 candidats pour seulement 249 sièges, les véritables motivations de certains apparaissent de fait sujettes à caution.

– “Intérêt général” –

“De nombreux députés actuels et candidats voient la députation et ses privilèges comme un moyen de s’enrichir ou d’accroître encore une richesse acquise illégalement”, accuse M. Rahman. L’immunité parlementaire leur permet en outre d’échapper aux poursuites judiciaires.

Abdul Karim Shafaq, candidat dans la province de Farah (est), espère qu’il pourra être élu depuis sa cellule où il purge une peine de deux ans de prison pour fraude, selon un porte-parole du bureau du procureur général.

Pour de nombreux Afghans, la chambre basse apparaît avant tout comme un lieu de corruption et de petits arrangements entre amis. Et les députés sont également accusés de largement préférer la capitale Kaboul à leurs circonscriptions en province.

“Il n’y a pas beaucoup de bons députés, ils se soucient peu de l’intérêt général et pensent d’abord à leurs propres intérêts. C’est à nous de changer cela”, lance Mme Saghary, disant vouloir abolir l’immunité car elle a “encouragé de nombreuses personnes à se considérer au-dessus des lois”.

Selon les résultats d’une enquête de l’Asia Foundation publiée en août, seules 10% des personnes interrogées estiment que les parlementaires “se préoccupent des questions nationales”. Et 37% pensent qu’ils ne s’intéressent qu’à leurs “intérêts personnels”, tandis que 35% disent aujourd’hui avoir confiance en eux, soit 12 points de moins qu’en 2013.

L’ONG Transparency International classe l’Afghanistan parmi les pays les plus corrompus au monde, au 177e rang sur 180.

“Je suis certain que leur salaire seul n’est pas suffisant pour payer toutes les maisons et les voitures qu’ils possèdent”, note ironique Thomas Ruttig, co-directeur de l’ONG Afghan analyst network (AAN).

Selon lui, c’est grâce à la profondeur de son porte-monnaie et non aux bonnes intentions que l’on se fait élire en Afghanistan, où l’achat de votes est une pratique courante. “Un membre de la société civile mal payé ne peut pas rivaliser”, déplore-t-il.