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Rentrée littéraire 2018: dans les coulisses d’un premier roman

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Rentrée littéraire 2018: dans les coulisses d’un premier roman

Le parcours du premier roman d’Anton Beraber, jeune auteur de 30 ans publié chez Gallimard, a de quoi faire pâlir d’envie tous ces Français qui écrivent et rêvent, secrètement ou non, d’être un jour publiés. La Grande Idée, sorti le 23 août, a connu le parcours idéal. Accepté après avoir été envoyé par la poste, sans aucune recommandation, ce texte de 570 pages a tout de suite séduit la prestigieuse maison d’édition, qui l’a programmé pour la rentrée littéraire.

Malgré les 94 premiers romans attendus cette année, La Grande Idée n’est pas passé inaperçu. Sélectionné dans la liste des 15 livres les plus attendus du magazine Lire et pour le prix “Envoyé par la poste” 2018, il a été sacré par l’AFP comme “un des meilleurs romans de la rentrée, [un] formidable récit d’aventures […] porté par un style flamboyant”. De son côté, La Croix évoque “une merveille de premier roman”.

premier roman

“J’ai naturellement cru à une plaisanterie”

Anton Beraber a passé six ans sur ce texte, tout en travaillant en parallèle sur “d’autres travaux, des récits courts, des essais de traduction”. Habitant au Caire, il a envoyé son manuscrit à peu de maisons d’édition. Une décision mûrement réfléchie: “On se dit toujours qu’en multipliant les enveloppes on accroît ses chances de réussite: c’est certainement faux, pour deux raisons”.

“La première est que les maisons d’éditions susceptibles d’accepter l’un de mes textes sont peu nombreuses, et que je les connais depuis longtemps pour avoir assidûment fréquenté leur catalogue. La seconde est le prix de ces envois: entre l’impression, la reliure, la papeterie, le double affranchissement pour se faire retourner le texte, on en arrive à dépenser des sommes conséquentes.”

Il a donc suivi “une procédure rigoureuse”: “douze envois aux maisons d’importance puis, au retour des manuscrits 5 à 8 mois plus tard, douze envois à des maisons moyennes, aux lignes plus ciblées mais dont les moyens sont limités”. Après avoir envoyé son texte “dans les premiers jours de septembre [2017]”, il a été contacté “courant octobre” par la maison Gallimard “pour [l]’avertir que [s]on texte allait être soumis au comité [de lecture] d’ici quelques semaines”: “J’ai naturellement cru à une plaisanterie”.

Entre six et huit mille manuscrits par an

Si tous les manuscrits ne connaissent pas un tel destin, les maisons d’édition s’organisent pour que cela soit le cas: “Quand les gens disent qu’il faut être recommandé ou que les éditeurs n’ouvrent pas les paquets, c’est totalement faux”, explique Antoine Gallimard, président des éditions du même nom. “On a entre six et huit mille manuscrits par an. Ils sont systématiquement tous regardés, ouverts et feuilletés. Dès que l’on pense qu’il y a un intérêt, ils sont lus attentivement et parfois même relus.”

Maud Simonnot, éditrice de La Grande Idée, loue “un système très attentif” et “payant”: “La plupart des premiers romans que l’on publie ici sont arrivés par la poste”, insiste-t-elle. Une fois examiné par des lecteurs, externes comme internes, le manuscrit passe au comité. Antoine Gallimard y occupe un rôle d’“animateur”: “Ce qui m’intéresse, c’est un engagement, une croyance. S’il y a trois rapports [de lecture] mitigés et un rapport positif, celui-ci l’emporte sur les autres.” Dans cet espace de discussion “où on dit vraiment ce qu’on pense”, les textes sont analysés attentivement:

“Ce qui est important, plus que jamais aujourd’hui, c’est la qualité. Dans la marchandisation actuelle, on doit être plus que jamais à la recherche de talents nouveaux, de voix nouvelles.”

Gallimard

Style flamboyant

Une centaine de manuscrits est envoyée chaque jour chez Gallimard. Parmi eux: des biographies romancées, des règlements de compte familiaux, des histoires d’amour et des récits inspirés par Virginie Despentes.

Anton Beraber s’inscrit à contre-courant de ces modes en investissant le genre du roman d’aventure. Et en proposant un style surprenant, flamboyant et “mâtiné de beaucoup de poésie”, s’enthousiasme Maud Simonnot. Impossible, donc, de le rater: “Il a dans la langue quelque chose que l’on ne trouve quasiment plus: une exigence extraordinaire”.

Choisir un premier roman, c’est aussi une responsabilité: “On s’inscrit dans un catalogue déjà existant. Il faut à la fois porter quelque chose de neuf et qui convienne à ce catalogue. C’est un équilibre à trouver”, précise-t-elle. C’était le cas de La Grande Idée, qui partage avec de nombreux livres publiés chez Gallimard l’ambition de “tisser des liens entre littérature et engagement”.

Après avoir travaillé des mois, voire des années, sur son texte, vient le moment d’accepter un regard extérieur, celui de l’éditeur. Un travail que Anton Beraber a abordé “sans appréhension”, puisque lui-même s’est inspiré des grands récits fondateurs comme L’Odyssée, “c’est-à-dire d’une tradition orale, très plastique, que chaque récipiendaire à tout loisir de modifier”.

Affirmer sa voix

Cette collaboration avec l’éditrice a permis “de reprendre les défauts de composition” sans “lisser un texte pour le faire correspondre aux canons de la rentrée germano-pratine”. Et elle l’a aidé à affirmer sa voix, “à faire du Beraber là où je commettais l’erreur d’imiter une lecture du moment”, dit-il, ajoutant que le texte, dont il a ciselé les phrases “jusqu’en juin dernier”, en est ressorti “grandi”. 

“Le manuscrit arrivé chez Gallimard portait avec lui les nécessaires incohérences d’un texte resté six ans sur l’établi, des motifs repris hors de propos, des audaces que je n’aurais pas assumées à l’heure de la publication”, dit-il, avant de préciser: “Des passages importants y ont gagné en force, d’autres sont tombés dans un oubli mérité.”

Gallimard

Se distinguer en librarie

C’est en juin, également, que les libraires découvrent les titres de la rentrée par l’intermédiaire “d’un représentant commercial de la maison d’édition et de réunions où les éditeurs présentent le contenu des livres”, explique Philippe Touron, directeur de la librairie Le Divan. C’est à ce moment-là qu’il décide d’acheter ou non un livre et dans quelle quantité. Le plus souvent, il ne l’a pas encore lu.

Pour séduire le libraire, le premier roman peut compter sur l’enthousiasme du représentant, mais aussi la réputation de la maison d’édition: “Quand un libraire achète un livre de la collection blanche chez Gallimard ou de chez Vrin, il sait que c’est synonyme d’un travail, d’une qualité, d’une ligne éditoriale”, dit-il, précisant qu’il a rapidement repéré La Grande Idée, intrigué par ce premier roman “un peu différent de la plupart d’entre eux” en raison de sa forte pagination. Les premiers romans traditionnels oscillent souvent entre 190 et 250 pages.

Séduit par la “langue très personnelle de l’auteur”, il a déjà calé une rencontre avec ce dernier le mardi 4 septembre au Divan et lui a réservé une place importante dans sa vitrine. Impossible de le manquer avec son bandeau romanesque à souhait: “Et si, dans une époque désenchantée, surgissait un dernier héros?” Au Divan, il n’y a pas de table réservée aux premiers romans – ni de demande particulière des lecteurs pour ce genre-là: “ce qu’ils veulent, c’est lire de bons livres”, conclut Philippe Touron.

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