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Kosovo: à Pristina, “respirer nuit gravement à la santé”

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Kosovo: à Pristina, “respirer nuit gravement à la santé”

Si rien n’est fait, “cet endroit deviendra un nouveau Tchernobyl” et “il faudra partir”: Agim Ibrahimi vit à Obiliq, dans la banlieue de Pristina, dont les deux centrales à charbon fournissent l’électricité du Kosovo.

Cet ouvrier de 46 ans est l’une des ombres qui, le visage souvent couvert d’une écharpe, émergent de la purée de pois absorbant cette petite ville les matins d’hiver.

Peu importe le vent, l’odeur âcre du charbon imprègne Obiliq, dont plus de 4.000 des 30.000 habitants vivent coincés entre les centrales Kosovo A et Kosovo B, qui empruntent pour la première à la technologie soviétique, pour la seconde à celle de la RDA d’antan.

Construites entre 1965 et 1975, elles produisent plus de 95% de l’électricité kosovare.

Mais leurs émanations, conjuguées au chauffage au charbon des habitations individuelles, empoisonnent l’air.

Aucune mesure n’est effectuée à Obiliq, mais celles que réalise depuis 2016 l’ambassade américaine à Pristina, à 15 kilomètres, placent la capitale haut dans les listes des villes les plus polluées du monde l’hiver.

– Autonomie énergétique –

Les habitants de Pristina, dont beaucoup sortent de chez eux équipés d’un masque, disent ressentir constamment la pollution. “Respirer nuit gravement à la santé”, lisait-on lors d’une manifestation récente.

“Nous n’avons pas de capacité hydroélectrique”, “pas de gaz, nous ne pouvons pas bâtir de centrale nucléaire, mais nous avons du charbon”, résume le ministre du Développement économique Valdrin Lluka.

Il insiste sur l’importance de l’autonomie énergétique de son pays, un des plus pauvres d’Europe, qui fête le 17 février ses dix ans d’indépendance de la Serbie.

La société nationale d’électricité, KEK, possède 72% des sols à Obiliq et emploie 4.700 personnes dans les centrales ou ses mines.

“Je sais à quel point l’électricité est importante pour le Kosovo. Mais on ne peut violer le droit des gens à la santé et un environnement propre”, répond Haki Jashari, directeur du petit hôpital de la ville.

Selon Sahit Zeqiri, proviseur du lycée technique, tout est contaminé, “l’air que l’on respire, le sol que l’on cultive, l’eau que l’on boit”. Chaque jour, dit-il, cinq à dix élèves manquent, victimes de bronchites, le sport extérieur est banni, et cette année, faute de neige, les particules fines restent en suspension.

– Morts prématurées –

“Trois membres de ma famille sont mortes d’un cancer”, “c’est une terre cancéreuse”, affirme l’ouvrier Agim Ibrahimi.

Aucune étude épidémiologique n’est venue calculer l’impact sanitaire des deux monstres qui fument sans relâche.

Mais en 2013, la Banque mondiale estimait à 223 millions d’euros le coût annuel de la pollution pour le Kosovo et ses 1,8 million d’habitants (5,3% du PIB). Pour le secteur d’Obiliq, le maire Xhafer Gashi avance un chiffre d'”environ 100 millions d’euros”.

La pollution atmosphérique serait, selon la Banque mondiale, à l’origine de “852 morts prématurées, 318 nouveaux cas de bronchites chroniques, 605 hospitalisations et 11.900 visites aux urgences” au Kosovo.

“Les conditions environnementales peuvent être extrêmes dans des zones d’habitation proches des principales sources de contamination”, renchérissait en 2015 l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans une étude sur le secteur d’Obiliq.

Bibliothécaire retraité de 63 ans, Ruzhdi Mirena scande sa litanie de morts et de malades, d’un doigt pointé vers les maisons de Hade, hameau adossé à une mine de charbon, face aux centrales: “Il y a 85 familles ici, et croyez-moi ou non, il n’y en a pas une qui n’ait pas été affectée par le cancer.”

“On a enregistré 88 nouveaux cancers en 2017”, affirme le Dr Haki Jashari, évoquant des maladies cardiovasculaires et diverses affections. “Ceux qui le peuvent s’en vont, pour s’éloigner de la maladie et protéger leurs enfants.”

– Aide internationale –

Le ministre Valdrin Lluka annonce une amélioration rapide: avec l’aide de l’Union européenne, les filtres de Kosovo B doivent être changés; et Kosovo A, promet-il, sera remplacée en 2019 par une centrale gérée par une compagnie américaine, dotée d’une technologie “très efficace” permettant “25 fois moins d’émission de poussières, 25 fois moins de soufre et quatre fois moins d’émission de CO2”.

“Nous ne sommes pas seulement confrontés aux défis actuels, mais à une pollution accumulée”, dit un dirigeant de KEK, Edmond Nulleshi, dont la compagnie affirme avoir investi 60 millions d’euros pour la protection de l’environnement entre 2012 et 2015.

Une loi récente prévoit que KEK verse à Obiliq 20% de la valeur du charbon extrait, ce qui triplera le budget de la municipalité. De quoi mesurer la qualité de l’air, assainir les sols, renforcer la prévention médicale, énumère le maire Xhafer Gashi.

“Nous ne manquons pas de conscience environnementale mais nous ne sommes pas au niveau de l’Europe occidentale en terme de capacités”, dit Edmond Nulleshi, le dirigeant de KEK.

Pour réhabiliter la centrale Kosovo B, il faudrait selon lui 300 millions d’euros. Il espère “l’aide des donateurs internationaux.”

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