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D’échec à film culte : comment le “Rocky Horror Picture Show” a construit sa légende

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D’échec à film culte : comment le “Rocky Horror Picture Show” a construit sa légende

En 1975, la sortie du “Rocky Horror Picture Show” avait été un raté phénoménal. Mais plus de quarante ans plus tard, le film inspire toujours de nombreux événements. Explications de ce retour en force, mené par un public bien particulier.

Chaque 31 octobre, c’est le même refrain : salles de concert, discothèques, bars et autres cinémas proposent une projection “spéciale Halloween” du film de Jim Sharman “The Rocky Horror Picture Show”, sorti pour la première fois en 1975. Quarante-trois ans plus tard, ce long-métrage s’est fait une place de choix dans la très sélective liste des films cultes et intemporels, malgré un échec cuisant à sa sortie.

Retour sur cette comédie musicale, adaptée de la pièce de théâtre de Richard O’Brien, d’abord décriée puis devenue le film le plus longtemps proposé à l’écran de l’histoire du cinéma.

Tout commence en août 1975, lorsque “The Rocky Horror Picture Show” sort en salles. L’histoire ? Brad et sa fiancée Janet tombent en panne, et vont se réfugier dans un mystérieux château, celui d’un scientifique travesti nommé Frank-N-Furter. Le tout façon comédie musicale.

Les audiences sont catastrophiques, à tel point que le film est retiré des salles au bout de quelques semaines seulement. Pour sauver les meubles, la 20th Century Fox – productrice du film – tente de ressortir le film à l’occasion de soirées spéciales, en le jouant notamment avec “Phantom of the Paradise” de Brian de Palma, mais le succès n’est toujours pas au rendez-vous. Côté critiques, “The Rocky Horror Picture Show” n’est pas bien reçu. “Sans intérêt”, “manque de charme”, peu de médias lui accordent alors du crédit.

Les débuts d’un film, hors du film

Pour rentabiliser le “Rocky”, la Fox décide de le programmer aux séances de minuit notamment au Waverly Theatre à New York. Peu à peu, une bande d’adeptes revient voir le film plusieurs fois, et commence à lancer à voix haute des répliques ou à en chanter les chansons. Sal Piro, un acteur américain de 68 ans, est l’un de ces fans de la première heure. Il se souvient pour France 24 : “C’était une froide nuit de 1976. Quatre amis et moi faisions la queue au Waverly. Louis Farese, l’un des pionniers du mouvement, était déjà là. La séance a commencé et je l’ai entendu crier une réplique à l’écran. Tout d’un coup, j’avais dix ans à nouveau. Le film a continué, je voulais crier quelque chose de cinglant aussi mais je n’ai pas eu le courage.”

Rapidement, il lance ses premières répliques, puis lui et ses amis inventent une sorte de glossaire alternatif. “Je n’ai pas seulement inventé des répliques, continue-t-il. J’écoutais celles des autres puis les rejouais à mon tour. C’est comme ça que le film est devenu un show.” En 1980, l’homme est entré au Guinness Book des records pour avoir vu le film 750 fois en salles. “Mais ce nombre s’élève à 3 000 aujourd’hui”, nous raconte-t-il, avant de préciser qu’à bientôt 70 ans, il ne performe plus. Cependant, il est toujours présent aux anniversaires et autres “événements spéciaux”, et continue de “garder un œil” sur le site-fan du “Rocky“.  

Dori Hartley et Sal Piro au Waverly Theatre, New York, 1977. © Wikimedia Commons

Ces séances “spéciales” ont donné naissance à des troupes d’adeptes, et le phénomène s’est répandu aux quatre coins des États-Unis (San Francisco, Sacramento, Pittsburg…) puis dans le monde entier.

Alors comment se déroule une représentation animée du RHPS – pour les intimes – ? Une troupe de comédiens est généralement présente pour incarner les personnages principaux du film, devant l’écran, pendant que celui-ci est projeté. Mais attention, le public n’est pas en reste : il faudra – selon la projection – lancer du riz lors de la scène du mariage, de l’eau lorsqu’il pleut, et bien sûr chanter les morceaux ou sortir les meilleures répliques en même temps que les personnages. Certaines salles proposent d’apporter une paire de gants en latex (pour la scène du laboratoire), des journaux (pour imiter Janet se couvrant sous la pluie) et autres goodies pour entrer le plus possible dans l’action. Dans le film “Fame”, une scène illustre d’ailleurs ce genre de projection. 

L’exportation du phénomène côté français

En France, c’est au Studio Galande que la légende est née. Depuis les années 1980, ce minuscule cinéma du VIIe arrondissement de Paris fait perdurer la légende du “Rocky” entre ses murs, de la même façon qu’outre Atlantique. Jug Ulus, un pseudonyme, taulier du Galande depuis 12 ans, nous raconte : “Au départ, ils ont projeté le film sans animation et au fur et à mesure, des gens sont venus foutre le bordel dans le cinéma. À un moment, le gérant leur a dit ‘ne payez plus vos places et venez toutes les semaines déguisés pour animer la séance car ça fait venir du monde’. C’est comme ça que ça a commencé.”

Depuis, les troupes se sont enchaînées – Deadly Stings, Sweet Transvestites, Hot Potatoes… – et se partagent chaque vendredis et samedis soir le Studio Galande, sans interruption. “Ils ont toujours donné carte blanche aux gens du ‘Rocky’. Ils survivent grâce à nous. Les huit premières années, c’était complet tout le temps, si tu n’avais pas ta place le mercredi c’était mort.”

© No Good Kids/Facebook

Lucie, également membre d’une troupe du Studio Galande depuis deux ans, précise “qu’il n’y a qu’en France qu’il y a eu des casts ininterrompus pendant 40 ans et dans le même cinéma en plus. Même en Angleterre, ils ont parfois arrêté de jouer le “Rocky” pendant plusieurs années.” Mais attention, les interprétations sont différentes selon les pays, et les cinémas. En Angleterre par exemple, “ils n’ont pas le droit de lancer de l’eau et du riz. Les animateurs ne peuvent pas toucher les spectateurs”, détaille Jug, tandis que Lucie ajoute : “Nous on est réputés pour faire un show à l’arrache, on s’amuse avec le public, on se change rapidement. C’est différent des screen accurate, où il faut respecter exactement ce qu’il se passe à l’écran avec le bon costume à l’épingle près”. 

Le candidat idéal pour devenir culte

D’un échec total est donc né l’un des films les plus longtemps projetés en continu de l’histoire du cinéma. Grâce aux interprétations intempestives, puis organisées bien sûr. Mais pourquoi les fans ont-ils choisi ce film et pas un autre ? Pour Jeffrey Andrew Weinstock, professeur d’anglais à la Central Michigan University et auteur du livre-analyse “The Rocky Horror Picture Show“, “il y a d’abord l’aspect transgressif et excessif de ce film camp (catégorie de films prônant avec ironie le mauvais goût et l’autodérision, notamment via le genre ou la sexualité, ndlr). Mais aussi les longues pauses et autres regards caméras qui incitent le public à entrer dans l’action.” Un avis partagé par Jean-Maurice Bigeard, créateur de L’Absurde Séance, une association nantaise spécialisée dans la projection de films décalés. “Le narrateur invite directement le spectateur à participer, ce qui est vraiment rare”, explique-t-il à France 24.

Et la programmation du “Rocky” aux séances de minuit a contribué à en créer la légende, comme le raconte Jean-Maurice Bigeard : “Les films recasés dans les séances de minuit sont ceux dont on ne sait pas quoi faire, car ils sont extrêmes, et pas montrables dans un contexte dit normal. Comme “Eraserhead” de David Lynch ou “La Nuit des Morts-vivants” de Romero. Mais à minuit, les enfants de chœur sont couchés. Il reste les fêtards, les métalleux, les geeks, les incompris, qui sont d’accord pour voir des films ‘alternatifs'”. Le terreau idéal pour faire vivre un film au-delà de l’écran donc, et lui offrir une seconde chance.

Surtout, “The Rocky Horror Picture Show” a su semer le trouble sur son genre. Nanar grotesque ou parodie bien rodée ? Pour Jean-Maurice Bigeard, “le ton est parodique. Tous les clichés sont là, il est ancré dans une époque. Après, c’est selon l’appréciation de chacun et des générations qu’il traverse. Ce qui est sûr, c’est que c’est un Objet Filmique Non Identifié”. Même avis pour Lucie et Jug des troupes du Studio Galande, qui insistent sur les références assumées à la pop culture du film. “Tout est très intentionnel”, selon eux. “Et pour l’époque, le caractère transgressif du film l’a fait sortir du lot”. 

© Twentieth Century Fox

Un pari réussi, puisqu’en plus de quatre décénnies, le “Rocky” s’est invité dans les films “Fame”, “Le Monde de Charlie”, dans les séries “Buffy Contre les Vampires” ou “Glee”, mais aussi dans les clips de Britney Spears et Jessie J pour ne citer qu’elles. D’ailleurs, la Fox en a fait un remake pour son quarantième anniversaire, avec Laverne Cox dans le rôle titre. Beau palmarès pour un film “sans intérêt”. 

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Première publication : 29/10/2018

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