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Caroline du Nord : itinéraire d’un truqueur d’élection présumé

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Caroline du Nord : itinéraire d’un truqueur d’élection présumé

Première publication :

Une élection clé en Caroline du Nord pourrait être annulée après la découverte d’une série d’irrégularités concernant les votes par procuration. Les accusations visent un “conseiller électoral” aux méthodes douteuses.

C’est une fin de semaine test pour la démocratie américaine. Tous les regards à Washington sont tournés vers le 9e district de Caroline du Nord, et plus spécifiquement le petit comté rural de Bladen, qui compte 33 478 habitants. Le parti démocrate conteste les résultats des élections de mi-mandat du 6 novembre qui ont vu la victoire du républicain Mark Harris. Même le “Grand old party” reconnaît qu’un nouveau vote est nécessaire, tant les preuves de trucage électoral semblent accablantes.

La commission électorale de Caroline du Nord – qui a déjà refusé par deux fois de valider les résultats du 9e district – doit se prononcer sur l’annulation du scrutin, vendredi 21 décembre au plus tard. Au centre de cette tempête électorale se trouve un homme, Leslie McCrae Dowless Jr, un “conseiller politique” autoproclamé qui a travaillé pour le candidat Mark Harris.

Maître en manipulation électorale

Cet homme de 62 ans est accusé d’avoir manipulé des votes par procuration. Un maître en la matière, dont les agissements auraient privé de leur voix des centaines, voire des milliers, d’habitants du comté de Bladen.

Dès la fin de l’été, la commission électorale a commencé à se douter “qu’une vaste opération était en cours pour convaincre des électeurs qui ont l’habitude de s’abstenir”, a déclaré un responsable de cet organisme au Washington Post. Elle avait reçu un nombre hors norme de demandes de votes par procuration. Plus de 12 % des électeurs du comté ont requis de pouvoir voter ainsi alors que la moyenne du district s’élève à seulement 3 %. ”On s’est tout de suite dit qu’il devait y avoir une vaste opération en cours pour convaincre des électeurs qui ont l’habitude de s’abstenir”, a déclaré un responsable de cet organisme au Washington Post.

Les soupçons se sont naturellement portés sur Leslie McCrae Dowless. Ce dernier se définit lui-même comme un spécialiste du porte-à-porte politique pour inciter les indécis à participer à un scrutin. Rien d’illégal à cela. Mais après le résultat de l’élection dans le 9e district de Caroline du Nord, remporté par Mark Harris avec une avance d’un peu plus de 900 voix, des témoignages ont commencé à s’accumuler faisant état de procédés douteux. Plusieurs électeurs ont raconté avoir reçu, avant le vote, la visite de membres de l’équipe de Leslie McCrae Dowless qui leur ont proposé d’aller déposer à leur place leurs bulletins au bureau de vote. Un démarchage illégal puisque la loi locale impose que la procuration soit établie au nom d’un membre de la famille ou du tuteur légal.

Mais, surtout, personne ne sait ce que ces bulletins sont devenus. Les démocrates, après analyse des résultats de l’élection en Caroline du Nord, ont accusé Leslie McCrae Dowless d’en avoir fait disparaître une partie… et pas n’importe laquelle. Le comté de Balden est le seul du 9e district où le candidat républicain a obtenu plus de votes par procuration que son concurrent démocrate. Plus marquant encore, un nombre disproportionné de bulletins d’Amérindiens et d’Afro-Américains qui ont opté pour le système de procuration n’ont jamais fini dans une urne.

Un art électoral exercé sur au moins six candidats depuis 2010

Le “conseiller politique” controversé a nié avoir enfreint la loi et affirme que l’enquête en cours de la commission électorale va rétablir sa réputation. Le républicain Mark Harris s’est empressé de prendre ses distances. Il a reconnu avoir travaillé avec lui, mais uniquement par l’intermédiaire de la société de communication politique Red Dome Group, qui était son employeur direct.

Mark Harris devait pourtant connaître la réputation de ce magicien du vote par procuration. Après tout, il s’était déjà retrouvé opposé à un candidat aidé par Leslie McCrae Dowless lors de la primaire républicaine pour les élections de mi-mandat. Mark Harris avait remporté le scrutin, mais pas dans le comté de Balden où son adversaire l’avait devancé grâce aux votes par procuration.

En réalité, Leslie McCrae Dowless a exercé son art électoral au profit d’au moins six candidats depuis 2010. Interrogés aussi bien par les médias nationaux que par la presse locale, les différentes personnalités (majoritairement des républicains) qui ont eu recours à ses services ont refusé de détailler le travail qu’il a effectué pour eux. Mais ils ont tous en commun d’avoir su “séduire” les électeurs ayant voté par procuration.

Casier judiciaire chargé

Cet expert des élections semble donc avoir été très courtisé par les édiles locaux, et ce, alors même qu’il a un casier judiciaire bien rempli, rappelle le site Buzzfeed. Leslie McCrae Dowless a passé six mois en prison au début des années 1990 après avoir été condamné pour fraude aggravée. Il a aussi été reconnu coupable d’avoir émis des chèques sans provision et de ne pas avoir payé ses impôts.

Difficile d’imaginer qu’un tel personnage a pu contribuer à faire la pluie et le beau temps politique en toute impunité depuis le début des années 2010. Une dérive qui cadre pourtant parfaitement avec l’analyse que le politologue américain Andrew Reynolds fait de la Caroline du Nord. Pour lui, cet État américain “n’est plus une démocratie”, écrivait-il déjà en 2016.

En appliquant à la Caroline du Nord les critères de l’Electoral Integrity Project, utilisés par l’université de Harvard pour mesurer la transparence démocratique des élections dans 153 pays, l’expert s’est aperçu que l’État américain ne faisait pas mieux que Cuba ou la Sierra Leone. L’une des principales raisons au déficit démocratique en Caroline du Nord serait la propension avec laquelle les minorités sont écartées du processus électoral. Leslie McCrae Dowless ne semble donc être qu’un rouage dans un système plus large.

Le laisser-faire du monde politique local à son égard pendant des années menace de se transformer en scandale électoral majeur aux États-Unis. L’affaire s’inscrit aussi dans une succession de scrutins contestés lors des élections de mi-mandat, comme en Géorgie ou en Floride. Cette accumulation donne l’impression d’un système électoral à bout de souffle laissant trop souvent des électeurs, littéralement, sans voix.

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